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 Sujet du message: Juste après l'opé
Message non luPosté: 09 Juil 2010 20:23 
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Bon, voilà ce que j'ai écris après l'opé. ca constitue le troisième chapitre d'un bouquin que je suis en train d'écrire sur l'aspect magique de Bruxelles. je vous le file passque je trouve que c'est chouette de le partager avec vous. Bien entendu, il est protégé par des droits d'auteurs. Et j'y tiens beaucoup. Alors, si quelqu'un en fait quelque chose d'autre que le lire sans me demander mon autorisation, je lui arrache les yeux, je lui enfonce patiemment des aiguilles en dessous de chaque ongle, je lui fait manger en boulette la totalité de sa chevelure. Et je fais un procès en bonne et due forme a ses restes menus. Je le traîne devant les arcanes les plus sombres de la justice... Sinon, je serais bien contente de discuter de ce texte avec vous. Je sais, ici, on peut pas. Mais alors pourquoi pas, si vous voulez en causer aller dans le forum casting? Sous la rubrique Linda où j'ai fait ma présentation en arrivant ici. Voilà bisous à toutes et tous et, si vous en avez la patience, bonne lecture. Passque, évidemment, c'est assez long.

Linda




J’avais résolu le problème en comprenant que le futur n’importe pas. Que seule compte la capacité à assumer le passé, ce que je suis devenue au moment présent. De cette manière, la réponse ne pouvait tomber qu’avec certitude. J’empoigne donc mon sac de voyage pour descendre les escaliers. Sur un palier, je croise Essin qui me prend dans ses bras. Avec tant de douceur, elle me caresse les épaules:
- Tu es nerveuse?
- Un petit peu anxieuse. Ca va aller.
- Je penserai à toi.
Sans que personne ne m’y oblige, je me dirige vers la gare. Seule, je monte dans un train qui, lentement, traverse le zoning industriel d’Anderlecht. La Senne, le canal. Cette ville que j’aime tant et que je ne reverrai peut-être pas. En tous cas, plus rien ne sera jamais comme avant. Prenant de la vitesse, le convoi s’enfonce vers les Flandres. J’envie ces prés, ces petits canaux d’irrigation bordés par les saules. La pluie tombe par instants, ténue et subreptice. Je n’ai pas pris de veste. Vigoureuse, je traverse le site hospitalier sans songer au poids d’un bagage me sciant l’épaule. Bureau d’accueil, bâtiment K1 puis chambre 516. Derrière la porte, je trouve Nathalie. Cheveux fatigués par une semaine, déjà, allongée. Je m’échappe dans le couloir, toujours serrée dans mon jeans et perchée sur mes talons. Je n’ai pas envie de les quitter, sachant que trop longtemps je ne vivrai plus qu’en pyjama. Je retournerais bien, une ultime fois, respirer l’air extérieur mais je demeure entre les murs pour guetter les instructions des infirmières. Je téléphone à Juana, je ris en lui parlant de ma folie. Bouteilles d’une eau sucrée, obligation de les ingurgiter. Tandis que je me vide sous l’effet de cet écœurant apéritif, Nathalie me parle comme si on l’en avait privé depuis bien trop longtemps. Pour une fois battue à plat de couture au concours des bavardes, je la vois s’enfoncer par intermittence un sexe en plastique souple dans son vagin. Me prodiguant toutes sortes de conseils que je préfère écouter aussi distraite qu’intéressée:
- Si tu veux voir, n’hésite pas. Bientôt ce sera ton tour.
- Justement. J’apprendrai bien en temps voulu.

Je fixe une lumière rouge qui clignote dans la nuit, sur le sommet d’un des bâtiments. Je ne sais pourquoi, elle m’attire le regard juste avant de m’endormir. Détendue, étrangement, je m’assoupis jusqu’à franchir la nuit. Le matin, la pénombre encore et mes pensées qui se mettent à ruer. Qu’est-ce que je fiche ici? Ne suis-je pas devenue tout à fait dingue? Peut-être est-il encore temps de m‘encourir? 5h45, je tente de calmer mon cœur. Et je saisis un petit livre de poche éclairant certains aspects de la tradition Bön#, celle qui existait au Tibet juste avant l’arrivée du bouddhisme. J’y lis une phrase, au hasard, me prédisant que tout est déjà trop tard. Que je n’ai plus, maintenant, qu’à me laisser emporter par ma destinée. Hier, il m’avait déjà parlé d’éclosion et de virginité. Effectivement, la porte s’ouvre pour laisser entrer une infirmière et un brancardier. 6h, il me faut lâcher prise. L’homme est prévenant: couchée et revêtue d’un léger tablier vert, il m’emmène droit vers les sous-sols. Sortie des ascenseurs, il accroche mon lit à un petit véhicule électrique et m’emporte dans le plus sombre des couloirs. Un tunnel de béton d’une longueur infinie dont les angles, par intermittence, s’éclairent d’une lueur électrique. A contre-courant, l’espace défile au bout de mes pieds ne me laissant en rien la maîtrise de ma destination. Je serre les dents pour éviter de céder à la panique: ne serait-il pas en train de m’emmener tout droit chez Belzébuth? L’estomac noué, je tente de sourire à ma plaisanterie. Avant de me saluer, il me gare dans une pièce lumineuse et équipée d’une multitude d’appareillages médicaux. Les infirmières louvoient entre chaque nouveaux lits qui, de minute en minutes, emplissent davantage la salle. Je me rend aux toilettes sachant que, d’une certaine manière, ce sera la dernière fois. Et je fais mes adieux au p’tit con, enfin plutôt au contraire du p’tit con. Assise en tailleur sur mon matelas, j’espère capter un peu d’énergie. Je baisse le menton vers mon cœur invisible pour lui souffler: « C’est pour toi que je suis là ». L’angoisse disparait. Je contemple simplement les autres patients tandis qu’une jeune infirmière me perfuse sans peine la veine de ma main gauche: je ne veux pas observer une flaque de sang à travers l’épaisseur de ma peau. Voilà le chirurgien, paradoxalement rassurant, qui tire les rideaux autours de moi. Une dernière fois debout, nue face à lui, il me dessine des seins arrondis sur le corps et toutes sortes de lignes directrices jusqu’au bas du ventre. J’aime la précision de son regard sous sa tignasse poivre et sel, l’assurance presque artistique de chacun de ses gestes. 7h. Il disparaît silencieusement jusqu’à ce que deux de ses assistants viennent se saisir de mon lit. Placée sous les lampes encore éteintes de la salle d’opération, je dénombre six personnes revêtues de vert qui me tournent le dos. Trop occupées à préparer un matériel sur leurs tablettes respectives. L’une d’entre-elles s’approche pour me piquer:
- Ca va faire une sensation étrange dans le cerveau, ne vous inquiétez pas.
Deux secondes et mes neurones se dissocient, les images semblent se décaler dans ma tête. Il revient aussitôt pour plaquer l’anesthésiant sur mes lèvres:
- A toute à l’heure?
- Vous savez, je crois que pour moi ça ne va durer qu’une seconde. Juste le temps de fermer puis d’ouvrir les yeux…
- Oui, sourit-il, à tout de suite alors.
Ma conscience s’éveille derrière mes paupières. Je les cligne, difficilement, pour m’immiscer de brèves lumières. Je ne suis pas morte. Pourtant, je m’y étais aussi préparée. Une pièce à l’éclairage tamisé: un bureau, des classeurs sur une étagère. Un lit ou deux face à moi. A peine, je peux pivoter le regard. Trop d’efforts, je replonge dans le noir. Une tension sur la poitrine et comme une masse énorme pesant sur les hanches. J’ai pas mal. Je quitte à nouveau l’existence. Par intermittence, une infirmière, par-dessus les verres de ses lunettes, scrute des appareillages autours de moi et me pose des questions rassurantes. Impossible de remuer quoique ce soit. Juste me laisser revivre jusqu’à ce qu’un médecin me signifie le retour dans ma chambre. En ambulance, cette fois. Dieu seul sait pourquoi. Le regard confiant de Nathalie. La lueur rouge qui clignote toujours au dessus du bâtiment. J’ouvre à nouveau mon petit livre, il me dit simplement: « tout est possible ». 21h. Je m’effondre dans la nuit.

Une tristesse irrépressible. Oui, j’ai vu: par dessous les draps et entre les pansements, la naissance de mes seins. Peut-être devrais-je être heureuse? Je n’en sais trop rien. L’impression d’avoir une longueur de retard. Mon physique a changé mais pas encore ma tête. Ce vieux compagnon infidèle, ce corps masculin auquel je m’étais malgré tout habituée. Larme silencieuse, tout a été si difficile. Et puis, sans trop de douleur, cette pression sourde sur les hanches. Simplement peut-être, l’inconfort dû à cette position couchée que j’adopte pour la deuxième journée déjà. Pas de quoi fouetter un chat. Je n’aime pas les médicaments et je ne demande pas d’analgésique plus puissants. Pourtant, tellement difficile d’esquisser le moindre geste. Combien de temps à demeurer ainsi? Deux perfusions dans la main gauche, une sonde urinaire et deux flacons d’un liquide peut-être plus sombre que du sang reliés à des tubulures émergeant du dessous de mes bras. Cinq jours, en tout. Je me demande comment tenir un tel délai. Je remue mes jambes comme on remuerait une enclume. Les parties génitales et la poitrine largement bandées. Manger peu: impossibilité de se rendre aux toilettes. Et cet inconfort qui se mue doucement en douleur. Réussissant un parfait exercice de détachement, je m’évade là où elle n’existe plus. Ne se résumant qu’à une simple idée. Je ne suis pas sage, pourtant. Et quand je reviens au réel, elle apparaît puissante et dévorante. La sonnette, vite! Je ne pourrai pas résister cette fois. Alerter une infirmière. Des minutes immenses s’écoulent alors que la souffrance me tenaille toujours davantage le corps. Je lance un cri inaudible lors de son arrivée, la femme en blanc m’apparaissant inaccessible dans un monde qui, déjà, ne m’appartient plus. La chair déchiquetée par le mal. Mes yeux fous s’écarquillent pour extraire des mots frêles de ma gorge: « J’ai mal, j’ai beaucoup trop mal ». Ils traversent pourtant cette distance impitoyable car elle connecte, calmement, un flacon aux tuyaux pénétrant sous ma peau. Et ce liquide froid qui s’écoule aussitôt dans mes veines… Comment pourrais-je supporter encore cette torture? Une heure, peut-être deux, de répit. Téléphoner à Juana. Espérer qu’elle me détourne de cette abomination. Tout au long du jour, je frémis à la moindre alerte lancée par mon corps: que ce remède, surtout, se mêle encore à mon sang. Plombée de sommeil, je me fond à nouveau dans la nuit.

Je vaque sur un rectangle, composé de carreaux de métal, flottant dans l’univers. L’espace noir se déploie partout autours de moi. Les planètes, la lueur de la lune, le scintillement des étoiles. A l’autre extrémité, posé sur le coin opposé, un petit marché où s’affairent chalands et clients. Une lueur bleutée émanant d’un éclairage diffus. Des morceaux de fromages de brebis des Pyrénées. Bien faits, bien secs. Des perles de sels cristallisées dans la pâte dure. Puis, alors que j’hésite à poser mon choix, le sol qui penche sous mes pieds. Au fil des secondes, l’inclinaison s’accentue jusqu’à me faire glisser vers le vide. Impossible de m’agripper à ce sol beaucoup trop lisse. Et là, tout en bas, par delà le bord de la surface, l’anéantissement complet d’un trou noir. Impuissante, je me résigne à m’abîmer dans la folie. Inespérée pourtant, une force s’oppose progressivement à ma chute. Elle s’exerce d’abord à mes pieds pour freiner ma descente puis, me stabilisant un instant sur l’arête de la plaque, finit par augmenter pour me remonter lentement. Sous cette accélération puissante et progressive, le sol bascule pour retrouver l’horizontale tandis que la vitesse toujours plus infinie m’éloigne radicalement de cette déraison. Quand je vois apparaître devant moi l’immense architecture du palais de justice bruxellois, également nimbée de cette lumière bleutée, je n’ai d’autre choix que de freiner de toutes mes forces pour éviter de m’y encastrer. Ma trajectoire imprimant une courbe en frôlant la verticalité des murs. Stabilisée au sommet d’une colonne, je m’accroche des mains à sa pierre. Mon corps continuant à flotter en apesanteur. Jamais, sous mes paumes, je n’ai senti une telle densité de matière. Comme si je touchais, enfin, à ma propre pierre angulaire. M’effrayant un peu de cette surréalité minérale, je relâche ma prise pour rejoindre toute en légèreté les dalles du parvis. De l’encadrement de portes éclairées d’une lumière jaune électrique émergent des silhouettes de juges quittant l’édifice. Je me détourne de ces toges et hermines ne revêtant plus aucune importance à mes yeux et redescend les marches qui ouvrent sur la noirceur de la ville. Je ne perçois rien en ouvrant les paupières, je n’entend que le signal lancinant d’une sonnette résonnant dans le couloir et ne ressens, sous ma peau, que l’épaisseur de mes draps. Face à la réalité de cette fantasmagorie, je peine à distinguer le songe de l’éveil. Bien sûr, la petite lumière rouge clignote toujours sur le toit du building. Je replonge aussitôt dans un sommeil sans plus aucun rêve.

Sous la cloche hermétique de l’hôpital, je n’avais pu observer qu’un temps tempétueux. La pluie crépitant sur la grande fenêtre, la houle parvenant à siffler jusqu’à mes oreilles. Mais le ciel, maintenant, se fissure de ciel bleu. Irisant les nuages d’une corolle dorée, la lumière transparente se mêle aux gris encore lourds. De temps à autre, la douleur s’amenuisant me laisse goûter à l’étonnement du changement corporel. Je crois que le basculement est réalisé. Je songe au « vol magique » que Mircea Eliade, philosophe et historien des religions, prétend indispensable à toute initiation chamanique. Quelle étrange sensation encore que cette vitesse infinie permettant de fuir l’anéantissement et la folie. L’abandon de toute référence au passé pour entrer de pleins pieds dans le présent, comme si je commençais à oublier mon vécu dans un corps de garçon. Bien sûr, je pourrai toujours me le remémorer intellectuellement mais, pratiquement, le souvenir commence indubitablement à s’amenuiser. « Les alchimistes chinois et indiens, les yogis, les sages, les mystiques, aussi bien que les sorciers et les chamans, quoique capables de voler, ne prétendent pas être des dieux. Leurs comportements prouvent avant tout qu’ils participent à la condition des esprits », mentionne ce professeur de l’université de la Sorbonne et de Chicago. Pour sûr, un tel chemin m’a appris à saisir ma réalité intérieure. Cet invisible dans lequel je me suis tant débattue afin de le faire exister au grand jour. De le faire vivre, sous le soleil, à l’extérieur de moi-même. « Il est évident que le « vol chamanique » correspond à une « mort » rituelle: l’âme abandonne le corps et s’envole dans des régions inaccessibles aux vivants. Par son extase le chaman se rend l’égal des dieux, des morts et des esprits: la capacité de « mourir » et de « ressusciter », c’est-à-dire d’abandonner et de réintégrer volontairement le corps, dénote qu’il a dépassé la condition humaine. {…} Très probablement, l’expérience extatique est coexistante à la condition humaine, dans le sens qu’elle fait partie intégrante de ce qu’on appelle la prise de conscience par l’homme de sa situation exacte dans le cosmos# ». J’énonce quelques bribes de mon rêve à Nathalie. Elle me regarde, d’un air entendu, pour me lâcher: « Ce genre de truc n’en parle à personne. On va croire que t’es folle… »

On me déconnecte. Petit à petit, les assistances médicales disparaissent. Je frissonne lorsqu’on me prive de ma drogue analgésique. Se pourrait-il que de simples cachets m’éloignent de cette si terrifiante douleur? Puis une jeune stagiaire me retire, d’un coup sec, les deux tubulures qui émergent de mes seins. Une sensation de plastique qui s’arrache de dessous ma chair. Tantôt, on enlèvera cette satanée sonde urinaire. Je pourrai, dorénavant, manger tout mon saoul puisque je retournerai aux toilettes. Jour J+5, le médecin va venir me déballer. Comme on déballerait, peut-être, un cadeau de noël. J’ignore toujours ce que je vais trouver, exactement, dans ce paquet si oppressant. Le voilà, le jeune intellectuel, si joli dans son tablier d’assistant: cheveux légèrement bouclés, visage frêle sous de petites lunettes. Il se penche sur mon entre-jambes, un scalpel à la main. J’hésite à trop regarder. Un coup d’œil tout de même pour voir se déverser de mes nouveaux organes génitaux, brièvement, une matière visqueuse et sanguinolente. Le toubib en sort le même sexe en plastique que j’avais entre aperçu, quelques jours plus tôt, entre les mains de ma voisine de lit. Je ricane à l’incongruité de l’objet: voilà qu’on m’en rend un, synthétique cette fois. Enfin, celui-là, je pourrai toujours le ranger dans une armoire… Le petit mignon s’éloigne à reculons de mon lit pour, après un rapide coup d’œil, me signifier d’un air séduit la réussite de l’opération. Dubitative, je n’en ressens que nausées et boursoufflures. Puis une infirmière m’achemine, titubante, jusqu’à la glace de la salle de bain où j’apparais tout simplement. La surface lisse réfléchissant ma nouvelle apparence, comme le font toujours tous les miroirs. Tout bêtement. Je me tiens là, dans la plus insignifiante banalité. Désespérément réelle. Réinstallée dans un fauteuil, auprès de la fenêtre, je regarde les canards s’ébattre dans un petit étang. Les véhicules circulant sur le toit de parkings, les buildings et les bâtiments en construction, les passants et les vélos. Les arbres aux fleurs déjà printanières. L‘existence comme je l’ai toujours vue. Et ce poids énorme qui me tombe des épaules. Tout est fini. Enfin terminé. Près de trente ans de chute puis près de dix pour tenter de relever la tête. Je souffle comme jamais je n’ai soufflé. Je suis enfin là, tout bêtement dans moi. L’espace se déploie devant mes yeux sans plus poser aucune question. Pas une seule. Et cette simplicité spontanée qui surgit là, ici, partout de l’univers entier. Là, ici, partout je suis là. Enfin là. Là, là, là. Dans cette paix immense qui relie le ciel à la terre, la vie s’étend partout devant mes yeux. Touchée de plein fouet: jamais je n’avais pleuré devant cette si intense et merveilleuse beauté. Partout, là bas et en moi: la vie dans sa plus parfaite et plus paisible vérité. Enfin là, enfin vivante. « C’est comme une naissance, hein? », me souffle l’infirmière. « Oui », je répond. « Alors va. Et vis, maintenant », me lance-t-elle.

Quand une autre infirmière flamingante avait brandi le sexe artificiel devant moi, j’ai pigé que j’aurais rapidement à me remémorer mes cours de néerlandais. Alors que, quelque jours plus tôt, elle s’était adressée aisément à Nathalie en français, pour moi la considération semblait toute autre. Belge et bruxelloise, les problèmes intercommunautaires de mon pays me rattrapaient jusque sur mon lit. En temps ordinaires, constatant qu’elle enduisait l’objet d’un strict minimum de gel lubrifiant, j’aurais dénoncé cet abus de position dominante avec virulence. Pourtant, alors qu’elle me l’enfonçait douloureusement dans le vagin, je me contentai de bredouiller quelques mots de remerciements dans sa langue. Ce n’est pas ma faiblesse qui me poussait à abdiquer mais plutôt la certitude de pouvoir pénétrer une faille de son être. Une énergie si puissante m’envahissait depuis tant de temps déjà: quand la douleur s’apaisait je me reposais invariablement au creux de cette paix si universelle. Je ne tentais plus seulement d’y croire, je l’observais partout. Ailleurs et en moi. Comment aurait-elle pu être délaissée par cette bonté si primordiale? N’ayant songé qu’à dormir ou chahuter lors de mes cours de néerlandais, je constatai avec étonnement que mes professeurs avait réussi à m’inculquer quelques notions salvatrice. Poussée par la nécessité, je rassemblai de vagues connaissances afin de parvenir à former quelques phrases usuelles. Chris commençait à se montrer plus attentive à mesure que s’accroissait mon aisance linguistique. Bientôt, nous échangions chacune dans l’idiome de l’autre et, quand elle quitta son service pour la dernière fois, elle se détourna de sa route habituelle pour me souhaiter la meilleure nuit. Tant de douceur émanait, maintenant, de ses gestes et de ses mots. Qu’avais-je donc perdu à céder à son exigence? Qu’aurais je gagné à m’opposer à sa vérité alors que je pouvais, tout simplement, m’accorder à elle? Ne m’étais-je pas, pendant tant d’années, opposée à moi-même? Et mon existence n’avait-elle pas été plongée tout droit en enfer? Il me semble si facile, aujourd’hui, de retrouver mon paradis au cœur de cette réalité qui s’étale, depuis toujours, juste à mes pieds. Et de recevoir la vie sans la juger.

Il y a, bien sûr, Juana à qui je téléphone pour exploser en larmes face à tant d’amour reçu. Cette vie, si difficile avec moi. Et cette paix, enfin atteinte grâce à elle. Cette virginité immense dans laquelle je m’apprête à plonger. Comment aurais-je pu imaginer pouvoir m’unir à la vie alors que, jamais, je n’avais eu le cran de pénétrer ne fusse qu’en moi-même? Cette vision trop profonde pour contenir mon émotion: ne m’a-t-elle pas tant appris à m’aimer et à me respecter? Tant de lâcheté et de crainte aujourd’hui dépassée, impossible de ne plus apprécier cette multitude de gestes posés par ces personnes m’ayant permis, aujourd’hui, d’exister. Le silence et la honte qui m’avait depuis toujours empierré le cœur se dissolvaient sous le courant des sourires et des attentions. Tant de gens qui avaient réussi à accepter une si improbable différence. Là où, depuis l’enfance, je n’avais rencontré que peur et déni, je m’émerveille aujourd’hui des plus ponctuelles générosités et infimes sollicitudes. Qu’avais-je encore à faire de ces personnes n’ayant jamais réussi qu’à détourner le regard alors que tant d’autres, toutes plus étrangères et inattendues, m’avaient tendu la main? Cet hôpital où l’on opère les corps afin de restituer des âmes depuis toujours volées. Ce chirurgien, confirmant la raison d’être de son travail, écoutant si distraitement l’incroyable mutation. Ces infirmières agissant toutes dans la plus banale quotidienneté pour entourer de soins ces nourrissons enfin devenus adultes. Les femmes de ménages qui, sourires en coin, ne s’étonnent plus guère de cette magie si primordiale dans laquelle je baigne. Cet oncle et cette tante, cette sœur, qui ont finalement réussi à écouter mon ultime cri de détresse face à mon impossibilité d’assumer financièrement ce changement. S’opposant à la toute grande majorité d’une famille absente s’imaginant, peut-être encore, que je serais fâchée de recevoir enfin leur attention. Ce cousin, pourtant, n’ayant pas hésité à me retrouver pour s’encombrer de mes bagages et m’aider à quitter, maintenant, le site hospitalier. Cette sensation si sereine face à la route qui se déroule, ce bonheur intense de replonger dans le quotidien. Mon chauffeur si attentif à mes silences: je me souviens de ce temps où j’aurais préféré mourir, ne jamais être née. Juana qui, sous une pluie fine, vient m’aider à transborder mes bagages. Et, dans sa voiture, mon p’tit loulou que j’ai eu si peur de ne jamais retrouver. Ses lélèches, discrètes, entre les appuie-têtes puis, une fois arrivés, ses bonds de joie incomparables dans le jardin. Bon Dieu, je suis si heureuse de vivre.

« La mort de l’homme et celle de l’humanité sont indispensables à leur régénération. Une forme, quelle qu’elle soit, du fait même qu’elle existe comme telle et qu’elle dure, s’affaiblit et s’use; pour reprendre de la vigueur, il lui faut être réabsorbée dans l’amorphe, ne serait-ce qu’un seul instant; être réintégrée dans l’unité primordiale dont elle est issue », décrit encore Mircea Eliade#. « Nous pouvons observer que ce qui domine dans toutes ces conceptions cosmico-mythologiques est le retour cyclique de ce qui a été auparavant, l’éternel retour, en un mot. Nous retrouvons le motif de la répétition projeté sur tous les plans: cosmique, biologique, historique, humain, etc. Nous décelons la structure cyclique du temps qui se régénère à chaque nouvelle « naissance » sur quelque plan qu’elle aie lieu. De même le « primitif », en conférant au temps une direction cyclique annule son irréversibilité. Tout recommence à son début à chaque instant. Cette répétition maintient sans cesse le monde dans le même instant auroral des commencements ». Avant l’antiquité, l’homme occidental ne connaissait donc pas, selon cet auteur, l’évolution linéaire du temps et de l‘histoire. Se contentant de cet éternel retour sur lui-même afin de renouer avec l’énergie primordiale et atemporelle de la vie. Une capacité à s’affranchir du passé pour retrouver un éternel présent. Pour renouer, avant la chute sur terre, avec le paradis mythique des origines et recevoir la possibilité de renaître à une nouvelle vie. Pourtant contemporaine de ce monde moderne si rationnel et linéaire, je ne peux que constater en moi cette nature si profondément inscrite dans l’humanité.

Assise sur un banc de pierre, je contemple les mouvements concentriques dessinés sur le sol par un sculpteur mexicain exposant son œuvre sur un terrain vague de l’avenue de la Toison d’or. En attendant la construction d’un nouveau centre commercial, l’espace est consacré aux artistes et xxx et y a installé ses géants de plastiques. Des bustes aztèques s’alignant bouches bées de petites plaques symbolisant nos si innombrables non-dits. De ma démarche de canard, je tente quelques incursions dans la ville pour me replonger dans la vie bruxelloise. De tortue, plutôt, ironise Nathalie lors de nos conversations sur le Net. Et encore et toujours ce sexe artificiel à m’enfourner dans le vagin pour le dilater. Toutes les trente minutes d’abord, puis maintenant toutes les deux ou trois heures. Les nuits interrompues par ce rituel paradoxalement si peu érotique. La fatigue qui s’accumule, les douleurs entre les jambes qui s’atténuent beaucoup trop lentement. Je deviens folle à ne m’extraire que ces trop rares moments de ma chambre. Comment savoir, même, si j’apprécierai faire l’amour à homme? Je renais surtout vierge. Tant de gens imaginent les transsexuelles comme des bombes jouissives. Quête de vérité pourtant, union à soi-même et à la vie dont aucun être humain n’est évidemment dispensé. La fumée d’une cigarette que j’aspire comme on cède à une faiblesse délectable, revendiquant la rupture avec cette si difficile quête de perfection. Une existence si effrayante et rassurante à la fois: j’ai tant et tout encore à réaliser. Je ne suis heureusement pas arrivée au terme de moi-même. Naître à 38 ans. Plus de complexe, évidemment. Comment encore être intimidée par le regard des autres après une telle affirmation de soi? Le contraire, même, me semble une évidence: mini jupe et talons hauts pour, en rue, faire tourner la tête des garçons. Après m’être si longtemps dissimulée, je ne peux que savourer leur désir mais, aujourd’hui, je choisis plutôt un look de baroudeuse pour que le tram m’emmène vers le bois de la Cambre. Je désire tant retrouver mon chêne. Toujours là, maintenant feuillu, et toujours si majestueux. Tant de semaines si loin de son énergie bienfaisante: c’est assoiffée de lui que je le salue en me demandant si, quelque part dans sa conscience monumentale, il a gardé souvenir de moi. Je ne peux en douter en m’installant à son pied dans cette position de semi-lotus que je peux récemment à nouveau adopter. La brise tiède de ce printemps enfin affirmé me caresse vigoureusement la peau alors que je reçois, comme un cadeau, cette si vivifiante décharge énergétique. Je me laisse ensuite choir en observant des loulous déambuler joyeusement sur l’herbe ensoleillée. Allongée, je savoure ce détachement si merveilleux en détaillant la diversité bruxelloise égayée paresseusement dans le parc. Un reflet d’étang argenté, une bouffée de sable sec voletant par-dessus une allée. Que j’aime me fondre au cœur de ce si puissant silence…

Dans la vitrine d‘une petite boutique, j’aperçois un livre traitant de communication avec les arbres. J’y pénètre pour feuilleter l’ouvrage que j’emporte ensuite, tout en discutant de destin et d’intuition avec le libraire affable. Puis m’immisçant sous une chape solaire presqu’estivale, je me dirige vers un square où j’avais entraperçu, quelques jours plus tôt, un superbe marronnier. Enraciné à deux pas de chez moi, j’y pressent un interlocuteur privilégié. Mais effleurant à peine son feuillage du regard, mon attention est détournée par une personne m’interpellant au passage. L’homme semble embarrassé: s’exprimant dans un parfait français, il prétend être à la recherche de sa sœur tout en ne connaissant rien à la ville. Elle aurait pris refuge dans un squat pour clandestins, situé quelque part près de « l’église de St Gilles ». Ne maîtrisant paradoxalement pas le français écrit, il aimerait que je l’aide à rédiger quelques mots destinés à sa frangine. Nous nous installons, sur un trottoir, à la table d’un café que j’avais déjà eu l’occasion d’apprécier. Il m’y paie une bière avec une coupure de cent euros dont le serveur lui rend la monnaie plongée dans un petit verre de plastique agrémenté de bonbons. Négligemment, face à ma vue, mon interlocuteur y laisse traîner la liasse de petits billets. La quarantaine bien affirmée, peau légèrement basanée élégamment revêtue d’un costard détendu, montre de luxe au poignet, l’homme ne manque assurément pas de prestance. Regard franc, il plonge ses yeux dans les miens.
- Pour tout te dire, je te trouve sacrément mignonne.
Je fouille mon sac à main afin d’y trouver le stylo nécessaire à l’accomplissement du travail demandé.
- Malheureusement, j’ai pas de papier.
- C’est pas grave. En fait, je suis à Bruxelles pour 48h et je cherche quelqu’un pour la nuit.
- J’aurais peut-être dû m’en douter. Malheureusement pour toi, t’es mal tombé.
- Pas possible, t’es trop jolie.
- Ca ne préjuge de rien.
- Pourquoi, t’es avec quelqu’un?
Je n’aime pas mentir. Je baisse les yeux en cherchant une réponse susceptible de clore la discussion. Mon manège, évidemment, ne lui échappe guère.
- Pour l’instant, je préfère rester seule.
- Là n’est pas la question. Je repars à Hambourg demain: je ne pourrais pas t’encombrer davantage. Tu vois, je n’aime pas fréquenter les prostituées…
- T’as raison. Et je n’en suis justement pas une.
- Qu’est-ce qui t’en empêche?
- Tu crois vraiment que je tombe dans les bras du premier inconnu?
- Je m’appelle Régias. Et toi?
- Linda.
- Pourquoi tu veux pas?
- J’ai besoin de ma solitude.
- Je ne te parle que de sexe.
- Ben, pas de sexe non plus.
- T’as été déçue pas quelqu’un?
- Pas vraiment. J’ai juste besoin de temps.
- Pourquoi?
Le coco commence, doucement, à m’encombrer le ciboulot:
- C’est simplement pas possible.
- Je comprend pas.
- Bon ben, tu vas comprendre. Tu vois, je suis transsexuelle. Et je viens seulement de me faire opérer. Alors, je ne suis simplement pas encore « fonctionnelle ».
Le garçon ravale sa salive. Tournoyant du regard autours de ses pieds, il tente de reprendre ses esprits en aspirant un hoquet aphone.
- Ha ben, ça ne me dérange pas. Pour moi, tu n’as jamais été qu’une très jolie fille à mes yeux.
- T’as pas compris: je ne sais rien faire avec toi.
- Arrête, ça m’excite encore plus. On peut faire des tas de trucs à part ça: t’aime bien sucer?
- T’as aucune chance.
- Tu reprends un verre?
- Si tu veux, mais je vais te décevoir.
Le tenancier nous apporte les boissons. Régias, plutôt que d’utiliser sa monnaie, n’hésite pas à régler l’addition avec un nouveau billet de cent euros.
- C’est trois euros.
- C’est pas cher ici.
- Pourquoi? Je veux que mon café soit ouvert à tout le monde. Je pourrais demander davantage, mais ça sélectionnerait ma clientèle.
- Tout de même, vous verriez les prix en Allemagne.
- Ecoutez, je pourrais demander davantage mais je ne vois pas pourquoi je réserverais mes tables aux gens friqués. Ils ne sont, de loin, pas mieux que les autres et c’est une politique commerciale à la petite semaine. Moi, j’aime voir plus loin que le bout de mon nez!
Echevelé, le patron s’en retourne en grimaçant dans son café.
- Bon écoute. Pour te mettre en confiance, je te paie un des meilleurs restos de la ville puis on termine la nuit dans un grand hôtel.
- Bon écoute aussi: j’ai jamais connu d’homme. Alors, même sucer, je suis loin d’être une experte.
- Arrête! C’est pas un problème, je t’apprendrai.
- Pourquoi? Tu trouves ça encore plus excitant?
Régias, souriant bêtement, se tortille nerveusement sur sa chaise en fourrant sa main entre ses cuisses.
- Je sais vraiment rien de toi. Comment voudrais-tu que j’accepte? D’où tu viens d’abord? T’as pas vraiment l’air d’ici.
- Je suis d’origine libanaise.
- T’as pas l’air musulman. T’es chrétien?
- Oui, au Liban il y en a beaucoup.
- Je sais. Ca fait longtemps que t’es en Europe?
- Je suis arrivé en 1971 avec mes parents. On a fui à la mort de Michel Aoun.
- Et tu fais quoi, comme job?
Régias s’accoude à la table, la langue comme nouée.
- Et…
- Ben, c’est pas facile de parler…
Je le fixe, gentiment:
- Tu crois vraiment que tu peux m’impressionner?
- Bon écoute, tu m’as fait confiance en me dévoilant ta vie. Alors voilà: je sors juste de tôle. Ca fait cinq jours. Et c’est pour ça que j’ai super envie de passer une nuit avec toi. Et j’ai pas envie que ce soit une prostituée.
- A Hambourg?
- Oui.
- Et t’y es resté combien de temps?
- Quinze ans.
- C’est pas rien, quinze ans. Qu’est-ce que t’as fait pour mériter ça?
- Ben… J’ai tué un homme.
- …
- Ben tu sais, il ne m’a pas vraiment laissé le choix. Ce jour là, j’ai pris deux balles dans la jambe.
- Règlement de compte?
- Mh.
- T’étais dans le « milieu »?
- Trafic de drogue.
- Et comment tu fais pour avoir tout ce pognon, si tu viens de passer tant de temps en cabane?
- Ben, tu sais, avant de me faire embarquer, j’ai pris soin de mettre des économies de côté.
- …
- T‘es déçue?
- J’ai pas dit ça. Je t’ai dit que tu m’impressionnerais pas. Je suis plutôt contente que tu sois sincère. J’aime bien ça. Tu sais, ce que tu as fait, t’as eu largement le temps de l’assumer, non? Je vois pas pourquoi je te condamnerais une deuxième fois.
- Alors?
- Tu sais, Régias, j’suis qu’une fille. Et toi t’es méchamment costaud. Je sais pas ce que tu peux me faire. Je peux pas faire ça avec le premier mec qui passe.
- Ben non, pas avec le premier type qui passe. Mais moi…
- Tu m’as vraiment l’air d’un chic type Régias. J’aime bien ta franchise et t’as l’air de bien t’assumer. J’aime beaucoup ça, mais je peux pas.
Il s’adosse à sa chaise. Puis, en regardant mes yeux, il plisse les siens.
- Fais pas tes yeux de mite. Ca sert à rien.
Il s’accoude alors, et emprunte le regard le plus langoureux.
- Tu crois que j’te vois pas? A essayer de me séduire avec tes yeux.
- Ecoute, j’en peux plus. Je suis super excité. Je suis pas assez beau pour toi ou quoi?
- Ben non. Franchement, t’es plutôt bel homme.
- Alors, une nuit dans le plus grand hôtel de Bruxelles. Pour te mettre en confiance. Et avant, le meilleur resto.
C’est vrai qu’il était bel homme, Régias. Habillé avec souplesse et élégance. Corps massif et musclé. Cheveux rasés, légèrement grisonnant. Regard de braise sur une peau hâlée. Et puis, une stabilité intérieure à faire frissonner. Un caractère évidemment bien trempé, loin de tous ces gens qui n’ont jamais connu d’épreuves. Je commençais, franchement, aussi à le désirer. Et puis, son scénario ne valait-il pas tous les meilleurs polars? Une nuit luxueuse avec un truand. Mais il m’avait dit, aussi, qu’il recommençait à travailler dans des cabarets. Pas comme danseuse, évidemment. Comment n’aurait-il pas remarqué, au premier coup d’œil, que je suis transsexuelle? Et que me valaient ses dénégations? Même si sa surprise lors de ma révélation m’avait parue sincère. Ce gars n’était-il pas, en réalité, proxénète? Cette « sœur », n’est-elle pas plutôt une fille le fuyant qu’il tente de récupérer? Et ça, il ne me le dirait jamais avant que je ne sois tombée dans ses filets…
- Je peux pas Régias. T’as aucune chance avec moi.
- Chez toi, alors.
- J’habite pas seule. Et ça ne pourrait que m’apporter des ennuis.
- Dans les toilettes du café. Vite fait. S’il te plaît.
- Tu veux vraiment avoir des problèmes?
- Tu t’y rend, discrète. Et je t’y rejoins ensuite.
- Non, Régias. Qui me dit que t’as pas le sida?
- T’es sûre?
- Oui, Régias. C’est non. Tu perds ton temps avec moi, t’as mieux à faire ailleurs.
- Alors, c’est foutu?
- Complètement.
Il nous allume une dernière cigarette, comme à des condamnés. Puis, il me complimente encore abondamment sur la couleur si verte de mes yeux. Enfin, en acceptant qu’il me raccompagne sur quelques centaines de mètres, il me guide délicieusement au fil des trottoirs. Effleurant mes hanches et ma taille ou caressant mes bras, me poussant par moment vers l’avant pour admirer la tenue de mes fesses ou la souplesse de ma démarche. Il m’arrête, aussi, pour détailler la rondeur de mes seins. Face à mes objections, eus égards à l’épaisseur de ma taille, il m’assure de son admiration pour mon genre de fille: juste un peu potelée comme il faut, juste comme il les aime. Il m’arrache des rires, me fait sourire. Son insistance désespérée me fait vraiment du bien. Puis vient le carrefour où je prendrai à droite, et lui à gauche. Il me lance encore:
- Durant quelques dernières secondes, tu pourras encore changer d’avis. Et, si tu veux, toujours me rattraper.
- Laisse moi t’embrasser sur la joue, Régias.
- Ha non! Même là, tu vas trop m’exciter.
- Je te souhaite une bonne vie, Régias. Meilleure que la première.
- A toi aussi, Linda.
Bien sûre, je ne me retournerai pas.

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Marche, où crève. https://laguenon.wordpress.com/


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