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 Sujet du message: aide soignante.
Message non luPosté: 08 Avr 2011 18:29 
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Localisation: Rochefort
Voilà un texte que j'ai écris sur ma période où j'ai travaillé en tant qu'aide soignante.

Emergeant, je retire le bouchon de la baignoire. Ne laissant qu’une trace de savon maculé sur ma peau, l’eau s’écoule, tournoyante, à travers le siphon. Alors que mes cuisses ne baignent plus que dans un mince filet de liquide, j’assèche mes yeux embués en jetant un regard alentours: une pièce nue, percée de quatre fenêtres carrées et identiques. J’enjambe la paroi de la cuve émaillée pour m’ouvrir sur l’espace extérieur. Un horizon rocailleux s’étalant, immense, aux quatre points cardinaux ne laisse subsister qu’une sécheresse brutale et désertique. Le rayonnement brûlant me repousse entre les murs pour concentrer mon attention sur le goutte à goutte, auparavant insignifiant, du robinet chromé.

De part et d’autre de la ligne rouge orientant les brancards le long du couloir, chaque chambre ne semble receler qu’une impossibilité d’exister. La petite dame frêle qui, au retour du bloc opératoire a bien trop peur de marcher. Qui, fébrilement, n’arrive plus à additionner un pas à un autre. Celle, aux cheveux fraîchement permanentés, qui assiste à l’effondrement de sa pudeur dans un cycle infernal de diarrhées et de constipations. Ou une autre, dont les yeux embués par ses innombrables années, s’égarent dans l’illusion maternelle de son énorme ventre, proéminent. Bien sûr, à son âge trop avancé, elle n’aura plus d’enfant. Pourtant, à chaque regain vital, elle ne peut s’empêcher d’y croire. D’encore y rêver. D’une porte suivante n’émane qu’odeur de merde et incompressibles gémissements. Lorsqu’une infirmière retourne laborieusement des yeux fixes et vides, perdus dans un corps ne transpirant plus qu’une substance chimique, médicamenteuse. La femme de la pièce d’à côté est morte. Absorbant, insidieusement, une nourriture qui s’est glissée jusqu’au plus profond de ses poumons. Un homme pousse des cris de révolte, étouffés, saisissant son sexe pour pisser sur les lits et sur le sol. Aspergeant, vigoureusement, la personne qui tentait de le faire manger.

Je m’adosse à un mur, chauffant l’espace entre mes omoplates. Je fouille mes poches, à la recherche d’une nourriture à grignoter. Je tord, en tous sens, les moindres recoins de mon estomac. Mon espoir se perd sur les semelles de mes chaussures, pour ressurgir dans la clarté d’une eau enfermée dans une bouteille. Le soleil, d’un bâillement de porte, s’écrase sourdement sur le sol. Bruits de godasses, sur un sol sec. Ballotement d’eau dans un récipient de plastique. Choc de cailloux, brûlants, sous la plante des pas. Bruissements d’une nature exténuée par les vibrations solaires. L’eau que j’absorbe, à lampées ténues, filtre le long des fils de ma chair pour ressurgir à la surface de ma peau. Surmontant l’obstacle de mes sourcils et pimentant mes globes oculaires, elle dévale jusqu’à la sécheresse de mes lèvres. Glissant, un seul instant, au travers de mon corps, j’en savoure encore les perles salines tandis que mes yeux irradiés soupçonnent un mirage ondulant. Se perdent dans l’illusion d’une brillance aquatique.

Tu la balades d’un couloir à un autre. Tu pousses sa chaise roulante dans l’ouverture de l’ascenseur. Gravissant un étage pour en redescendre aussitôt. Tu pénètres alors dans sa chambre pour la diriger, ensuite, vers le réfectoire. Rien n‘y fait, elle ne communique que son angoisse. Tu la parques à une table et, attentivement, tu lui saisis la main. Toujours, elle répète nerveusement les mêmes phrases. Alors, tu t’assieds et, au gré de ses imperceptibles variations de langage, tu tâches de suivre le fil de son existence. Si tu t’écartes, elle crie. Toujours plus nerveuse: « Madame! Madame… » Finalement, tu l’interroges: « Mais, enfin, pourquoi m’appelez-vous « Madame »? » Ses pupilles, d’un coup, se figent. Interrompant leur va-et-vient anarchique. Subitement calme, elle pénètre ses yeux dans les tiens et énonce, intelligible: « Parce que je sens, en vous, une femme ». Je l’écoute, éberluée: « Vous possédez une telle douceur et vous avez des yeux si… brillants. » Silencieuse, je l’observe replonger, aussi sec, dans la plus absurde tension nerveuse. L’habituelle incohérence.

Alors que le métro freine, brusquement, les muscles se contractent pour empêcher la masse des corps de basculer. Le vacarme de la propulsion électrique fait place, maintenant, à un silence passager. Je scrute ma montre sous les soupirs impatients, angoissée à la perspective d’un rendez-vous manqué. Je cours dans des couloirs interminables, trépignes devant des portes d’ascenseurs, gravis des escaliers, quatre à quatre, pour marmonner des excuses essoufflées. L’endocrinologue glisse son regard par-dessus les verres de ses lunettes tout en remplissant les prescriptions tant désirées. Contenue, je fixe les bracelets enroulés autours de mon poignet. Je remercie, et m’échappe au travers des corridors. Je me retourne pour répondre à un appel, et j’aperçois l’homme en blanc se baisser. Ramassant les documents qu’ils vient, à peine, de me délivrer. « Acte manqué », me glisse-t-il. Je m’encours, haussant les épaules.

Je saisis une pierre aux bords acérés. Brûlante sous la paume de ma main. Et j’entaille le corps d’un cactus immense, seul point d’ombre sur la plaine rougeoyante. Pressant un morceau de chair au dessus de ma bouche grande ouverte, j’avale sa sève tiède et sirupeuse. En baissant le visage, je rencontre la masse bénigne d’une montagne rocheuse. Si lointaine à l’horizon.

Au pieds des tours de l’hôpital, aux alentours d’un abribus, j’effectue les cent pas. Je tournicote, jolie, sous un ciel aéré. Les autocars vont, les voitures viennent. L’indifférence des passants m’emplit de légèreté. Une portière s’entrouvre, j’y glisse ma jupe et mes talons. Le sourire de mon amour m’emporte alors que, sous l‘accélération motorisée, la route commence à se dérouler. Tu ouvres les yeux sur elle, encore endormie. Allongée à tes côtés. Dans le silence de l’aurore, tu observes aussi un petit loulou. Tout beau, tout fraîchement né. Le café coule sous le jour. Dans un bruit de pattes et de conversation, tu contemples ta poitrine absente. Tu ressens ton corps imaginé. Et tu prends peur de perdre, tu saisis l’angoisse de vivre.

Provenant de l’éclairage électrique du corridor, tes yeux s’habituent difficilement aux rideaux tirés de la chambre. Tu discernes, indéfinissable, une forme sur un lit. Délicatement, tu soulèves le drap pour reculer d’un pas. Subitement, elle est là, la petite dame: racrapotée sur elle-même, tendue à l’extrême. Seule une peau flasque semble encore dissimuler la dureté de son squelette. Avec effroi, tu contemples un invraisemblable enchevêtrement osseux. Le souffle court, tu bats en retraite. Tu t’adosses contre une porte du couloir qui, sous ton poids, s’entrouvre. Par l’entrebâillement, tu observes le silence d’une petite chapelle. En y pénétrant, tu découvres un christ décharné. Contorsionné sur sa croix. Tu supplies de ne plus avoir peur.

Les lèvres sèches et la peau rêche, mes pas enfiévrés traversent la fournaise pour buter au pied d’une immense falaise. L’omnipotence solaire me pousse à dénicher un recoin parmi les éboulis. En m’avançant dans la pénombre d’une faille étroite, je goûte à la fraîcheur d’une obscurité relative. Tâtonnant une paroi rocheuse toujours plus sombre, une humidité invisible semble pénétrer l’épaisseur de mon épiderme.

Alors que tu l’informes de tes gestes, tes mots semblent se perdre dans la paralysie de son être. Tu crains de forcer la rigidité de ses muscles, quand tu déplaces un de ses membres. Toujours trop brusque, tu imagines ses nerfs s’écraser, entre ses os et la structure métallique du lit, lorsque tu la retournes pour lui savonner la peau. Tu lui tords le corps pour lui enfiler ses vêtements, tu transpires pour l’installer sur sa chaise roulante. Au moment d’ouvrir les rideaux, tu te frottes les yeux sur l‘immobilité de son visage.

Sous mes pas, un sol glissant s’incline en pente raide. Avançant précautionneusement, j’écoute l’écho profond de ma respiration. Je soupçonne, presque imperceptible, les clapotis d’une eau vacillante. Je m’assied sur un sol froid. Tendant les bras en arrière et arc-boutant la poitrine pour contrôler ma descente. L’élévation vertigineuse de la vitesse m’oblige, pourtant, au relâchement. Annihilant tout sentiment de diriger la chute. Soudain, le sol se dérobe. La glissade me précipite dans la noirceur du vide. Mes battements de cœur interrompus tentent de surmonter l’arrêt brusque de ma respiration, mon corps met un instant infini à basculer vers nulle part.

Tes gestes se font plus calmes et ses mouvements plus souples. Tu lui parles mieux, elle se laisse davantage manipuler. Elle t’aide autant que tu la soignes. Et tu ressens suffisamment d’aisance pour contempler son visage émacié. Ton attention s’ancre intensément sur son regard: si vivant, reflétant une paix tellement infinie. Je la trouve si belle, si extraordinairement resplendissante par delà son corps si lointain. Tandis que je lui souffle un « merci » à l’oreille, à la commissure de ses lèvres, elle sourit. Sensible outre-mesure, un infime battement de paupière donne la mesure de sa perception. Un couinement de porte, un toussotement, des couverts qui s’entrechoquent, un soupir, un déclic d’interrupteur, une voix, le grincement d’une chaise sur le sol, une conversation, un souffle bref sur sa peau. Un moindre détail la propulse vers la vie.

L’eau explose! Quand elle reçoit ma peau irritée. Mes terminaisons nerveuses se déchirent dans le feu d’une noyade assoiffée. Mon corps asséché brûle sous la violence du contraste aqueux quand mon amour m’entrouvre les yeux. Désirant que je demeure, hors pesanteur, dans le monde du silence. Pour faire taire, enfin, celui qui m’éloigne de mon cœur. Qui, depuis si longtemps, dessèche mon être dans le désert des apparences.

Le plus jeune, au pied bot, observe un équilibre précaire. Juché dangereusement sur le bord de son lit. Tandis que l’aîné attise ses arythmies cardiaques, espérant provoquer un diagnostic défavorable. Leur simili père, issu de leur mère volage et infidèle, caresse ses membres hémiplégiques d’une ambition de prise en charge hospitalière perpétuelle. Tous trois, consternés, tentent de contourner une décision les rendant à la vie quotidienne, signifiant la fin de leur villégiature hospitalière. « Evidemment, sans la prescription d’un médecin », te susurre l’électricien, quatrième pensionnaire de la chambre et étranger à la bande, « la mutuelle ne prend plus le prix de leur séjour en charge ». Tour à tour, l’existence les a enrôlés dans tous les métiers: taximan, boxeur, chauffeur-livreur, laveur de gratte-ciel, jardinier… Mais, aujourd’hui, entre infirmières et femmes de ménage, repas diététiques et surveillance sanitaire, ils espèrent la continuité de leur séjour médical. L’heure semble grave, leurs regards se tendent: tous handicapés, ils se reprochent la lourdeur de leur prise en charge mutuelle. Et quand l’attention se porte sur cette cheville qui, en chutant du lit, pourrait bien se briser et prolonger leur séjour, tu décides de ne rien entendre. Alors que t’éclipses le long du couloir, émanant des portes de chambres entrouvertes, les écrans de télévisions émettent les fracas sonores de la vie idéale. D’un pas amusé, tu traverses les lueurs saccadées de la norme cathodique.

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Marche, où crève. https://laguenon.wordpress.com/


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